Textes
La pratique artistique de Dorothée Davoise questionne la mutation des choses. Que ce soit par la sculpture, la photographie, le collage ou l’installation, elle s’intéresse aux possibilités et métamorphoses des matériaux, au travers d’une recherche sur l’essence des formes et des rythmes.
Par la photographie, elle développe un travail sur le rapport complémentaire ou contradictoire qu’entretiennent l’architecture et la nature. Elle cherche à rendre compte de la diversité et de la richesse des paysages avec une volonté permanente de faire survivre une certaine mémoire personnelle et collective. Elle s’intéresse plus particulièrement aux espaces des milieux, ces interstices au confluant du chantier et de la ruine.
Son travail photographique lui fournit ainsi un répertoire de formes qu’elle réutilise dans ses sculptures : elle se sert d’éléments du quotidien dans lesquels elle introduit du rythme et des variations, en travaillant sur la perception des objets et leur rapport à l’espace. Cela passe également par l’utilisation de matériaux tels que le ciment, le plâtre, le bois et le carton. La valeur du blanc lui permet quant à elle de renforcer le travail de la forme, valorisée uniquement par l’ombre et la lumière sur le volume, ce qui permet de se concentrer seulement sur la création de celui-ci.
« Dans ses photographies comme dans ses sculptures, Dorothée Davoise tente la fixation d’états indéterminés. Les sites et constructions qu’elle photographie à Paris, Berlin ou Athènes sont interstitiels, à mi-chemin entre le chantier et la ruine : parcs d’attractions et terrains de jeux désertés, arbres effondrés ou rebus entreposés. Les séries des entrées parisiennes et des habitations de banlieues montrent également une attirance pour le seuil. Lieux de passage par excellence, les Halls d’immeubles (2003-2011) s’avèrent dépeuplés, comme la plupart des images de l’artiste. Miroirs et boîtes aux lettres suggèrent pourtant les allers et venues d’habitants qu’on imagine survenir à tous moments. Certainement, l’imminence de ce surgissement ca- ractérise toute la démarche de l’artiste, qui, en se limitant au noir et blanc pressent à travers les jeux d’ombre et de lumière l’apparition d’un volume.
Les sculptures de Dorothée Davoise sont généralement blanches. D’un blanc plâtreux qui opte pour l’opacité plutôt que pour une pureté augurale. Si les Flaques reprennent les contours incertains d’étendues liquides, elles en perdent la brillance : réalisées en ciment grisâtre, elles deviennent des fragments solides et glacés. Ailleurs, l’artiste photographie le bouillonnement d’un vent violent piégé dans des draps blancs, ou réalise un diamant dans une version surdimensionnée, faite d’un tissu blanc qui en annule l’éclat (Sans titre, 2010). Le facettage du solitaire contamine également un haut-relief accroché au mur : les pics blancs qui le hérissent évoquent la structure coupante d’un réseau cristallin autant que le coffrage dont Kurt Schwit- ters doubla sa demeure pour y cacher divers souvenirs (Merzbau). D’une manière similaire, le travail de Dorothée Davoise oscille entre submersion et émergence.
Les trois photographies choisies pour l’exposition « Géographie nomades » paraissent d’abord totalement blanches, puis laissent progressivement entrevoir l’escarpement rocheux de montagnes abondamment enneigées. Une fois de plus, une couverture épaisse blanchit la forme, la neige accomplissant une sorte de surexposition poudreuse. Un aquarium redouble la dissolution alpine : une montagne faite de matière soluble y baigne sommet vers le bas, se désintégrant progressivement. L’eau du bac se trouble au fur et à mesure que la pyramide inversée s’y dissout, abolissant la transparence au profit de l’opacification. »
Texte d’Hélène Meisel pour l’exposition Géographies Nomades Publié dans les éditions des Beaux-Arts - février 2012
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Photographie et sculpture
Cet élément indiscernable est donc moteur du photographique, Dorothée Davoise le trouve notamment dans ce qu’elle appelle les « matières » et les « textures » : la rugosité d’un mur, la couleur de la terre, l’épaisseur du bois... Et c’est en sculpteur que la photographe appuie sur le déclencheur. On comprend alors mieux la structure de certaines images, comme celle d’une pile de matelas donnant à voir leur mollesse, à côté d’un châssis de lit en bois vieilli par le temps, le tout disposé sur un tapis d’herbes drues — comme une nature morte — avec pour toile de fond un mur au crépit granuleux plein d’aspérités. Les textures et les imprimés dirigent la prise de vue et déterminent le cadrage, les lignes, la construction spatiale, le contraste et la luminosité. Dans une autre image, toujours la même recherche d’une physicalité de la matière qui témoignerait du passage de l’homme : un mur gris et sali recouvert de rayures et de graffitis à la craie blanche rappelle Brassaï et ses « trouvailles » issues de la vie quotidienne la plus triviale.
Pour l’artiste, la sculpture complète la photographie et dialogue avec elle : « je comprends le volume en photographiant » dit-elle. Dans cette perspective, elle a notamment mené des recherches sur l’œuvre de Bernd et Hilla Becher et leurs « sculptures anonymes » : chez eux, la silhouette des hauts fourneaux se découpe sur un ciel gris, la masse d’un château d’eau s’affirme pesamment dans un panorama industriel, et les formes sculptées par l’homme font véritablement image. De même, ici, les formes du monde grec appellent la photographie. Par exemple, une citerne, deux cheminées d’usine et des passerelles de fer ponctuent la vision et la rythment ; plus loin, les motifs en fer forgé d’une lourde grille cadenassée ; ou encore des draps qui sèchent derrière un grillage à la découpe des plus géométriques. Par moments, on serait presque tenté de penser aux images constructivistes de Moholy-Nagy ou de Rodtchenko, pour qui le point de vue est ce qui prime, et pour qui les lignes sont le point de départ de toute structure photographique. Cependant, avec Dorothée Davoise, cette recherche de la construction n’est pas à l’origine des images, puisqu’elle intervient dans le réel sans aucune recherche d’artifice ou de modification de ce qu’elle voit, comme si c’était par intuition que la photographe recherchait la géométrie des lignes et la cadence du cadre. (...) »
Texte de Léa Bismuth pour l’exposition Ceux qui arrivent
Publié dans l’ouvrage Topos - éditions Filigranes - décembre 2012